Dans un pays lointain, les gens vivaient heureux. Ils portaient, accroché à leur ceinture, un sac de petites boules duveteuses appelées chaudoudoux, parce qu’elles faisaient chaud et doux.
Chaque fois qu’une personne avait envie d’un chaudoudoux, elle le demandait. Et l’autre plongeait la main dans son sac et le lui offrait. Les chaudoudoux sont inépuisables parce qu’elles sont les marques d’attention que nous échangeons et qui nous remplissent de bien-être.
Tout cela ne faisait pas l’affaire de la vilaine sorcière qui ne vendait ni ses philtres ni ses pilules ! Elle décida de créer la pénurie en soufflant à l’oreille d’un villageois l’idée que les chaudoudoux pouvaient venir à manquer. « Si ta femme donne ses chaudoudoux à n’importe qui, il n’y en aura plus pour toi. » Jalousie, doute, suspicion apparaissent.
Le mari commençait à surveiller sa femme, qui contrôlait à son tour ses enfants… Très vite, tout le village s’est trouvé atteint. Les gens hésitèrent à s’échanger des chaudoudoux. En manque, ils sont devenus de plus en plus tristes et hargneux, ils tombaient malades, se flétrissaient et mouraient. La sorcière vendait ses philtres à tour de bras, mais rien n’y faisait. Comme elle ne désirait tout de même pas perdre toute sa clientèle au profit du cimetière, elle a inventé un nouveau procédé.
Elle offrit aux villageois des sacs de froid-piquants. Ce sont de petites boules qui ressemblent vaguement aux chaudoudoux, mais, quand on les reçoit, on se sent froid et on a mal. Les gens commençaient à s’échanger les froid-piquants… Ils ne mouraient plus, mais consommaient abondamment les pilules et les philtres de la sorcière.
Un jour une femme qui s’appelle Jolie Doudou survient. Jolie Doudou est une femme chaleureuse et belle qui sait parler aux enfants et qui n’a jamais entendu parler de la pénurie de chaudoudoux.
Elle en donne librement à tous sous les yeux des villageois stupéfaits. Elle sourit beaucoup, on se sent bien avec elle, elle fait des câlins aux enfants. Ceux-ci l’adorent. Et sans plus tenir compte des multiples avertissements de leurs parents, ils se sentent l’envie et le plaisir de partager leurs chaudoudoux, sans plus guère y penser. Même chez certains anciens dans le pays, il y en a qui retrouvent des envies de recommencer à s’échanger des chaudoudoux gratuitement, facilement, pour le plaisir, comme autrefois, dans le passé. Voyant cela, les adultes, tout de même méfiants, et qui se sont fait une raison des froids piquants, se mettent alors à produire des règles et des lois pour réglementer les échanges de chaudoudoux…
C’est le présent. Le présent, ça ne veut pas dire simplement qu’un moment dans le temps. C’est aussi un cadeau. Je ne sais pas quel sera l’avenir, mais j’ai un nombre inépuisable des chaudoudoux à échanger et je suis sûr que vous aussi.
[Traduction et adaptation de François Paul-Cavallier. Version originale de Claude Steiner « Le conte chaud et doux des chaudoudoux » accessible en cliquant ici]