Symphonie Colérique en La-Si-tude Sol-itaire

35ème jour de distanciation sociale. Version avec toit, lit, ordinateur, téléphone, internet, chien, papier, stylos, fenêtres et nourriture.

Préambule

1. BÉMOL. J’ai clairement le luxe de pouvoir ressentir et exprimer toutes ces choses ; ce qui n’est pas malheureusement pas le cas d’une grande majorité. J’essaie de trouver comment réconcilier : la prise de conscience de mes privilèges dans le respect d’autrui ET la possibilité de vivre mes émotions de manière saine (charge-plateau-décharge). Exercice périlleux et source de culpabilité et de doute.

2. CONTREPOINT. Je ne demande rien : ni conseil, ni sympathie, ni encouragements, même pas de me lire ; j’ai juste besoin de ventiler pour décharger le trop-plein émotionnel dans l’univers. Je n’ai aucun trouble mental diagnostiqué cliniquement (cyniquement peut-être par contre). Je ne suis donc pas suicidaire, psychopathe, anxieuse ni dépressive. Contrairement à d’autres personnes qui, dans la situation actuelle, doivent lutter encore plus et faire face à tout ce que la majorité -supposément- saine vit en plus de voir leurs symptômes imploser et exploser, sans être forcément soutenus ni aidés. Sauf par de belles âmes, comme mon amie Caroline.

3. RÉPERTOIRE. J’annonce que je vais être à la fois sérieuse, sincère, moqueuse, caustique, ironique, etc. Demain est un autre jour. Il amènera son nouveau lot d’émotions contradictoires, de pensées mélangées et de somatique perturbée. Chaque heure de la journée et de la nuit est une nouvelle montagne russe, que j’enfourche en restant assise dans le chariot avec ma ceinture de sécurité et en ridant la vague. #PointBreakForever

4. DUO. Un ami, directeur du réseau de prisons d’un pays européen (qui se reconnaîtra) a osé exprimer sa colère face à l’utilisation du mot « confinement », et à juste titre. C’est ce qui a déclenché ma montée de lait (qui n’attendait que ça, cela dit), donc je t’en remercie. C’était nécessaire à ma santé mentale, que ma colère s’exprime. Être incarcéré, rester dans un sous-sol pour se protéger des bombes d’un pays en guerre, se cacher dans un grenier sans bouger ni faire de bruit pour ne pas être tué. ÇA, c’est du confinement. Ce que nous vivons est très différent et le poids des mots est important, me semble-t-il.

5. FUGUE. Je me sers beaucoup de la courbe du deuil de Kübler-Ross pour m’observer, prendre conscience de mes processus externes et internes, repérer ce qu’il est en train de se passer, dans le but de ne pas le nier ni le mettre sous le tapis, le vivre pleinement malgré la douleur émotionnelle engagée, et décharger sereinement et sainement ce vécu. Ma croyance intime est que cet épisode de l’Histoire du monde, quoi qu’il arrive, représente la transition entre un avant et un après. C’est la définition du changement et donc le déclenchement de multiples deuils, plus ou moins grands et à plusieurs niveaux, individuels et collectifs. D’où l’importance de cette courbe du deuil comme roadmap.

6. MENUET. Par contre, même si changements il y a, je ne ferai aucun pronostic bisounourso-woodstocko-à-oeillères (où l’être humain va enfin devenir un être humain, bienveillant, écolo, ouvert à la différence, vegan, zéro déchet, dans un monde d’amour, de paix, d’eau fraîche, de PQ en papier mâché et de farine sans gluten) ; ni aucun pronostic pessimisto-diaboloco-grenadine (où tous les scénarios sont possibles, au choix : nous allons tous mourir – tant mieux pour la planète, ça lui fera des vacances –, les riches vont encore plus s’enrichir – dommage pour les pauvres, ils n’avaient qu’à faire un MBA à Harvard –, de mystérieux groupes secrets issus du complexe religio-militaro-pharmatico-politico-mediatico-chocapic continueront de créer des cataclysmes pour leurs bénéfices personnels – tant mieux pour les complotistes, ça continuera de les occuper, s’ils ont survécu à la prochaine campagne de vaccination homéopathico-holistique –). Car après tout : je ne suis pas Nostradamus, ni l’horoscope de Biba, ni un fortune cookie. Vivement que les aliens viennent nous sauver !

Harmonie en Colère Majeure

Je suis en colère.
Les réseaux sociaux me font chier. Les déclarations et les informations aussi.

Je suis en colère.
Les billets d’humeur bien-pensants me sortent par les trous de nez. Le mien aussi.

Je suis en colère.
Le moindre courriel m’énerve. Les infolettres aussi.

Je suis en colère.
Les messages WhatsApp et Messenger me rendent aigrie. Les réunions Zoom aussi.

Je suis en colère.
Faire les courses m’irrite. Devoir manger aussi.

Je suis en colère.
Les gens qui se plaignent provoquent mon courroux. Ceux qui restent dans le déni aussi.

Je suis en colère.
Les gens hyperactifs m’impatient. Les mous passifs aussi.

Je suis en colère.
Les gens qui prennent ça trop à la légère m’agacent. Ceux qui prennent ça trop sérieusement aussi.

Je suis en colère.
Les émissions de télé-réalité m’exaspèrent. Les documentaires culturello-politiques aussi.

Je suis en colère.
Les gens qui s’engueulent sur Internet me font chier. Les débats sans fin aussi.

Je suis en colère.
Les applaudissements à 20h me rendent furieuse. Les applaudisseurs qui enfreignent les règles aussi.

Je suis en colère.
Les “Ça va bien aller” me fâchent. L’appropriation de l’arc-en-ciel aussi.

Je suis en colère.
Les bonnes résolutions m’enragent. La procrastination aussi.

Je suis en colère.
Les gens qui ne pensent à eux me font fulminer. Ceux qui ne pensent qu’aux autres aussi.

Composition inachevée

Donc je projette sur l’extérieur.
C’est bien plus facile… dans un premier temps.
Sauf que la colère ne passe pas.
Alors je me connecte à l’intérieur.
En réalité : je me fais chier moi-même.
Recommençons.

Chef d’Orchestre

Je suis en colère…
… De ne pas réussir à être active physiquement
… De manger mes émotions
… De me sentir coupable, notamment d’écrire ce truc
… De ne pas faire un grand ménage de printemps
… De ne pas réussir à promouvoir mes services en ligne
… D’avoir de l’espoir
… De ne plus avoir d’espoir
… De ne pas oser lancer une chaîne YouTube
… De me cacher derrière mon écran
… De m’en sortir mieux que d’autres
… De moins bien m’en sortir que d’autres
… De ressentir le besoin de voyager et donc de prendre l’avion
… De ne pas avoir déjà un terrain pour me lancer dans la permaculture
… De ne pas réussir à m’engager dans des actions solidaires
… D’avoir envie de parler à du monde
… D’avoir envie de ne parler à personne
… De noyer mes émotions à faire des jeux vidéo sur Steam
… De croire que je vais m’en sortir sans casse
… De croire que je ne vais pas m’en sortir et que je vais tout perdre
… De faire des insomnies
… D’avoir sommeil
… D’être seule
… De ne pas être seule
… De me sentir impuissante et faible
… D’avoir peur
… De ne pas en faire plus
… De faire des cauchemars
… De ne pas en faire moins
… De vivre de l’anxiété
… De l’incertitude de nos futurs individuels et collectifs
… De l’impact de cet événement ici et ailleurs
… De rester sur place et de stagner
… De vouloir crisser mon camp et décâlisser au fin fond de l’Alaska
… De me sentir débordée sans raison
… De me sentir paralysée sans raison
… D’être stressée
… D’être fatiguée
… De mon corps qui somatise de manières originales, inédites et douloureuses
… De ne pas avoir plus d’énergie pour changer ma stratégie d’entreprise et m’adapter
… De ne pas avoir pu assister à l’enterrement de ma grand-mère
… De ressentir une profonde tristesse en permanence
… D’avoir une boule au ventre et le cœur serré qui bat trop fort
… De ne plus oser rêver
… De penser à ma survie
… De ne pas penser à ma survie
… D’avoir perdu contact avec l’émerveillement et la joie
… D’être trop créative
… De ne plus être créative
… D’être ambivalente, contradictoire et paradoxale

Je suis en colère d’être en colère.

Postambule

Aucun individu ni aucun animal n’a été malmené, frappé, mis en danger ni violenté pendant cet épisode de colère noctambule (merci Sara!).

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite. Si vous avez lu jusqu’ici sans lâcher : félicitations, vous venez de gagner 6 minutes de n’importe quoi en vrac… #OuPas !

Et comme je suis certaine que cette lecture vous a fait un bien fou (*silence gêné des lecteurs*), je vous donne rendez-vous bientôt donc ? On s’attaque à la tristesse… Youpi !

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