To Dubai or not to Dubai?

Commentaire personnel contre certains commérages journalistiques occidentaux bâclés et rédigés à l’arrache à partir d’une missive AFP en morse et tous ceux qui les commentent sans même savoir situer les Émirats Arabes Unis sur une carte. En guise d’exemple : « Un mois de prison ferme pour une bise en public à Dubaï« .

Bonjour à toutes et à tous !

J’habite Dubaï depuis un an et demi et je sais que de l’extérieur ce genre d’articles a l’air démesuré, c’est pourquoi je tiens quand même à faire les « quelques » commentaires suivants, car la couverture médiatique occidentale des Émirats Arabes Unis relèvent parfois, malheureusement, d’un travail bâclé de journalistes qui n’ont jamais mis les pieds ici, ni même interrogé des résidents et des « locaux », et surtout qui ne posent pas les questions qui permettraient de réfléchir et de faire avancer le schmilblick 🙂 Petit point de vocabulaire pour commencer : on appelle un « local » une des rares personnes (850.000 en tout) à avoir le passeport émirati, et donc, à avoir il est vrai : un traitement différentiel disons… favorable.

Les Émirats Arabes Unis répondent de la loi de la Charia et ne s’en cachent pas : notices à l’aéroport, panneaux dans les hôtels, dans les centres commerciaux, etc. Il est notamment établi par cette loi qu’on ne peut montrer aucun « Public Display of Affection » (démonstration publique d’affection) avec des degrés de gravité qui augmentent quand on est musulman(e) et/ou non marié(e). Le seul geste d’affection accepté est de se tenir la main en public, si, et seulement si, le couple est légalement marié (musulman ou non). De cette même loi découle l’interdiction d’avoir des relations « de couple » sans être mariés, donc : on n’habite pas avec son ami(e) et on n’a pas non plus de relations sexuelles avec. Malgré cette interdiction légale, une partie des expatriés vivent en couple sous le même toit sans être mariés et rien ne leur arrivera… tant qu’ils ne créent pas de problèmes. Dans le cas contraire, vu le nombre de caméras disséminées dans la ville, les rues, les immeubles, les hôtels, etc. la police saura facilement utiliser cet acte illégal pour justifier d’une arrestation, d’une incarcération, voire d’un procès, puis d’une déportation. À bien y penser, je préfère encore être déportée que de purger une peine de prison aux Émirats Arabes Unis !

La consommation d’alcool est également interdite. Et pourtant me direz-vous, on en sert dans les bars des hôtels… Hypocrisie ? Oui, bien entendu. On a le droit de boire dans un bar, mais on n’a pas le droit d’être en état d’ébriété sur la voie publique. Donc, à part l’abstinence totale : difficile de dessaouler en 2 minutes chrono le temps de sortir du bar, nous sommes d’accord. Les taxis sont (officieusement) rétribués par des policiers pour ramener des personnes alcoolisées au poste. En tant que résident, on peut demander une licence d’alcool, (a.k.a. carte d’alcoolique), qui permet à la fois d’acheter de l’alcool et d’en consommer en toute légalité. Sans cette carte, on n’est pas censé consommer d’alcool sur le territoire des Émirats Arabes Unis, et on ne peut pas acheter d’alcool ailleurs qu’au « Barracuda » dans l’émirat d’Umm Al Quwain (avec en bonus le risque de se faire arrêter sur la route) ou bien tout simplement… au Duty Free en arrivant à Dubaï… Et oui, autre hypocrisie bizarre (on en n’est plus à une près) : on peut acheter de l’alcool (jusqu’à 4 bouteilles d’alcool fort) en arrivant à Dubaï, avant même d’avoir récupéré sa valise.

Dans la majorité des fameuses anecdotes judiciaires dont les médias vous abreuve (de la prison pour des SMS osés, de la prison pour un bisou sur la joue, de la prison alors qu’il/elle a été violé(e), …), il y a en général une autre histoire derrière qui découle souvent d’un passif négatif avec un local (son ancien employeur -vol d’un fichier client-, son propriétaire -dégradation du bien immobilier-, etc.). Dans le cas de l’hôtesse de l’air et du pilote incarcérés « pour avoir échangé des SMS obscènes« , c’est le mari de cette femme, qui avait demandé le divorce, certainement soupçonneux et bien connecté localement, qui a cherché à l’accuser d’adultère. Par la suite, étant musulmane et donc risquant gros elle a menti en demandant à sa sœur de faire un faux témoignage, ce qui a aggravé les sentences. Je tiens également à répondre à Chloé -non pas parce qu’on a le même prénom-, sur l’exemple qu’elle a choisi pour illustrer son propos, concernant l’adolescent franco-suisse violé par des émiratis à Dubaï en 2007. À cette époque, le viol n’était pas encore reconnu comme un crime par la loi (contrairement à l’homosexualité) et la première réaction de la police a été de l’accuser lui, pour protéger les émiratis mis en cause. Je tiens à préciser que justice a été rendue par la suite, avec pour preuve la déclaration officielle d’Alexandre et de sa mère, Véronique Robert.

Il en va de même pour les anecdotes concernant l’alcool et la drogue. Ici le gouvernement a une tolérance zéro envers l’alcool au volant (de 4 semaines à 5 mois de prison) et l’usage de drogue (2 à 4 ans de prison). Il est bon de savoir que même si l’on n’a pas consommé de la drogue sur le sol des Émirats, on risque quand même la prison en cas de contrôle inopiné à l’aéroport, même si l’on est seulement en transit vers l’Asie par exemple. Sachant que le THC est détectable dans le système d’un individu jusqu’à 45 jours après la consommation, si vous avez passé un bon week-end à Amsterdam il y a 3 semaines et que vous passer maintenant en escale à Dubaï pour aller faire trempette sous le soleil de Goa : mieux vaut avoir un comportement et un look qui vous feront passer en-dessous du radar des douaniers (lire entre les lignes : arriver avec des drapeaux jamaïcains sur son sac et des dreadlocks n’est pas une très bonne idée…).

C’est donc cette loi de la Charia qui est applicable et qui est généralement utilisée pour justifier de l’arrestation et de l’incarcération de quelqu’un, majoritairement avec un motif caché officieux. Donc oui, il y a une justice injuste qui fonctionne à plusieurs niveaux, les locaux étant les mieux lotis. Ils sont surprotégés par leur gouvernement, n’étant que 850.000 au milieu de plus de 5 millions d’expatriés venus faire richesse aux Émirats Arabes Unis. Donc, en cas de litige légal avec un local, peu de chance d’avoir gain de cause, quoique, les choses sont en train de changer (doucement, certes). Par exemple, en cas d’accident de la route (le code de la route relève du code pénal aux Émirats Arabes Unis) avec un local : que l’on soit fautif ou non de l’accident, mieux vaut ne pas faire trop de vague, car c’est justement en cas de rébellion que la police va chercher une raison solide pour incarcérer quelqu’un par le biais d’un autre chef d’accusation.

De manière générale, mon propos tend surtout à recadrer le débat : je pense que l’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Quand on décide de s’expatrier quelque part, on se doit de connaître et d’accepter de se plier aux lois et aux traditions locales. On ne peut pas prétendre venir ici pour devenir riche et profiter des nombreux avantages d’un pays en construction financé par l’argent du pétrole tout en ne respectant pas les règles locales établies. Je ne cherche pas à justifier de l’aspect inacceptable de certaines règles ou de leur application -aspect inacceptable surtout pour quelqu’un qui vient (par exemple) d’un pays où « Liberté, Egalité, Fraternité » sont les mots d’ordre. Par contre si cela est si inacceptable que cela : alors autant s’expatrier ailleurs qu’aux Émirats Arabes Unis. Les frontières ont été ouvertes afin de profiter de l’expertise et du savoir faire de travailleurs étrangers, pourquoi la culture locale devrait s’adapter aux expatriés ? Qui plus est, je tiens à rappeler que la majorité des pays ont eu plusieurs centaines d’années pour mettre en place une Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (France, 1789) et autres Habeas Corpus (Angleterre, 1679) et textes officiels servant de modèle moral et de lignes de conduite sociétaux. Pour recontextualiser : les Émirats Arabes Unis ont été créés en 1971, il s’agit donc d’un pays âgé de 39 ans. Avant cette date, il s’agissait de 7 tribus de bédouins correspondant à 7 familles vivant dans le désert et qui n’avaient que très peu de contacts entre eux. Pour en savoir plus, lisez l’article Wikipedia sur les Émirats Arabes Unis.

Je me suis souvent posée la question suivante : serait-il envisageable d’établir des traitements différentiels selon qu’un individu soit en transit, ou bien touriste, ou bien encore résident ? La question est difficile : instinctivement j’ai envie de croire qu’il serait mieux de ne pas juger de la même manière une personne en transit à l’aéroport de Dubaï qu’un résident qui, comme le dit si bien le dicton, n’est pas censé ignorer la loi ; mais alors où s’arrête la catégorisation : homme / femme, musulman / non musulman, résident / non résident… ? Je n’ai pas de réponse à ces questions, je ne fais qu’ouvrir des pistes de réflexion. En résumé : tout ceci explique pourquoi les Émirats Arabes Unis ne peuvent pas être officiellement considérés comme un pays répondant à Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948). Une mission de l’ONU a été commissionnée en 2009 afin d’établir un diagnostic ainsi que des recommandations, dans le but officiel de pouvoir modifier (petit-à-petit) les mentalités et les mauvaises habitudes qui découlent d’une société qui est passée d’un stade « tribal » à un stade « ultra urbain » en moins de 25 ans. L’exemple de l’adolescent franco-suisse démontre de cette volonté d’évolution.

Veuillez considérer mon commentaire comme une volonté d’informer et de partager mon expérience, et non pas comme une volonté de justifier quoi que ce soit. Je ne souhaite pas non plus juger d’une normalité ou d’une anormalité de la situation, ni du stade d’évolution ou non d’une culture ! Le débat normatif concernant les cultures et leur évolution dans le temps étant bien trop complexe pour prétendre la régler en quelques lignes ou en quelques échanges de commentaires. Je souhaite juste essayer de remettre le débat dans un contexte plus proche de la réalité, tout en allant à l’encontre d’un rapportage des faits parfois trop rapide et très peu sérieux par les médias européens. Un proverbe bien connu de tous les résidents résume assez bien la réalité de la situation : « In Dubai, everything is allowed, until one gets caught« .

C’est un sujet qui me tient à cœur parce que je crois en ce pays. Je reste à votre disposition si vous avez des commentaires ou des questions pour une insider.

Sur ce : shukran & maa is-salaama 😉

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