Arrivederci, ou l’éloge du Vide

Jusqu’au bout… La vie, l’univers, la sérendipité, nous testent décidemment jusqu’au bout… Jusqu’à ce que nous rendions les armes, trop las, trop fatigués, trop usés, agenouillés, à terre, vidés, essoufflés, la tête baissée, le cœur serré au ralenti, les muscles du corps se dénouant.

C’est probablement dans cet état, à ce moment exact où l’on rend les armes et que l’on s’abandonne à quelque chose de plus grand que soi, c’est là que l’on touche du doigt une forme de lâcher prise, de détachement, dans l’élan de ce qui ressemble à un dernier souffle.

À la seconde même où commence l’inspir que l’on sent être le dernier, c’est là que l’on peut ressentir un état nouveau, inconnu, inédit, une forme de grâce ultime, remplie de vide, ou exempte du trop – même combat. Et quand l’expir commence, c’est une nouvelle énergie qui circule.

C’est tellement étrange d’avoir perdu contact avec la respiration comme geste simple et accessible pour faire circuler l’énergie vitale. Nous sommes par contre très bons à contrôler et retenir notre souffle, à garder en soi, à accumuler, aussi bien l’émotionnel que le matériel. Et c’est le somatique qui encaisse.

Excités du bulbe suractif, investis dans un faire ambitieux et ascensionnel, attachés à l’acquisition protectrice de nos égos dominants, maîtres de la collection (d’objets, de souvenirs, de rencontres, d’émotions, etc.), apeurés du vide, aveuglés des biais implicites et des jugements, jusqu’à s’en étouffer.

Bref : il est beau l’Homme moderne. Autocentrés, égoïstes, en quête de satisfaction immédiate et évanescente, confortés par une société occidentale qui valorise le faire et l’avoir à l’être, grâce à une échelle sociale virtuelle hiérarchisée et unidirectionnelle, sorte d’oasis de l’accomplissement ultime.

Faire, faire, faire. Avoir, avoir, avoir. Pourtant, il y a quelque chose de beau, de mystérieux et de magique dans le farniente, soit littéralement le « faire du rien ». En réalité il s’y passe pléthore de choses, à notre insu, hors de tout contrôle, de manière invisible… Un espace de sagesse simple, universel, accessible, gratuit.

Comment en est-on arrivés à se détourner de ce qui est là, existant, à portée de main, en accès libre, pour dévouer notre attention à la quête artificielle du plus, du mieux, de la possession, de la comparaison, de la compétition ? La question est rhétorique, évidemment. L’open source de la Nature Vs. Licence Microsoft.

Le marketing moderne a eu le génie de réussir à rendre le simple, le vide, le gratuit, le facile obsolètes, négatifs, vils, propres à rien. En les remplaçant par le bling-bling, le luxe, la marque, le prestige, l’image, la mode, l’obsolescence programmée, le cher Vs. le cheap.

Encore plus fort, véritable tour de passe-passe : l’apparence de gratuité, l’utopie d’un gain ou d’un bonus que l’on ne paie pas, se monnaie en réalité à grand prix dans des salons privés, sous forme de km2 et de Po d’informations individuelles, dans des fermes hautement surveillées et consommatrices d’énergie.

La guerre ne se fait plus seulement à coup de bombes ou de coup d’État militaires, non, trop barbare. Aujourd’hui, la guerre se fait sournoisement, dans une pseudo-démocratie, offrant l’apparence de liberté individuelle, de choix et de contrôle sur notre destinée.

Les dirigeants, stupides pions d’échecs sculptés en bois, se font placer à coup de hacks, de tweets, de campagnes de pubs, de désinformation, de « déséducation », etc. En quelque sorte, les 4 pouvoirs ont remplacé les 4 accords. Un bit, un octet, une affiche géante, une promotion à la fois.

Léger détour enflammé… Pour en revenir à nos moutons, ceux-là mêêêême qui m’ont empêchée de dormir : ne serions-nous pas moins malades, plus sains, centrés, ancrés, alignés, si, au lieu d‘attendre que les événements s’enchaînent au point de nous faire craquer, nous acceptions plus tôt et mieux le vide, le rien ?

Mon père, ce grand sage, me répétait souvent, surtout à l’adolescence : « Qui trop embrasse mal étreint ». Bon, certes, à l’époque il parlait de ma technique speedy-gonzalez pour tondre le gazon le plus rapidement possible (en chargeant la mule, donc) le samedi après-midi pour pouvoir rejoindre mes amis après…

Cependant, ce proverbe plutôt anodin en apparence, n’a eu cesse de faire du sens dans ma vie et d’éclairer des chapitres obscurs. À trop vouloir, à trop chercher, à trop accumuler, finalement on crée une sensation virtuelle, IrRéeLle de remplissement et d’accomplissement.

La peur du vide, du rien, du silence, du farniente est une création moderne, où les biens matériels représentent la salvation divine pour paqueter notre intérieur et éviter ainsi toutes sensations désagréables, qu’elles soient d’ordre émotionnel, mental ou somatique.

Tout ça pour dire que, je me défie moi-même de pouvoir rester plus longtemps dans cet espace-temps d’abandon, de confiance, de lâcher-prise, de détachement, dans ce dernier souffle revitalisant. Dire au revoir pour mieux recevoir. Fermer les yeux pour mieux voir. Ouvrir son cœur pour oser. Respirer pour mieux vivre.

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